RAFFINEMENT MELANCOLIQUE
Ce qui me frappe ici tout d'abord, dans cette peinture même, cette sorte de maniérisme, ce raffinement mélancolique, cette intelligence meurtrie, ce sentiment instinctif de l'être aux abois, désespéré, cherchant l'issue.
Un frisson sur ta peau. L'animal est à l'eau et les chiens peuvent finir leur travail. Hors tension, l'animal se concentre mais son agilité ne lui permettra pas de sauter hors du cadre. Peu de matière ici, la fluidité de l'eau, la chaleur des pigments et cette élévation qu'on voudrait infinie. Aqueux, tendus vers le ciel, tout en hauteur, à l'attaque du plafond, faire éclater la toile, voler vers les nuages.
Des tons sourds, des jaunes sombres, des bruns, des noirs, des gris, se construisent et se parlent, la rigueur même du peintre, son humanité vivace, ses doutes qu'il croit si bien cacher, ouverte, cette peinture, unique objet de son ressentiment, dernier refuge, cherchant avec effroi, avec acharnement à échapper à ce cadre, hors cadre, sortir de la toile tendue, fuir cette peinture qui ne cesse de vous enfermer, quitter cette prison, ces lignes verticales qui ne sont que barreaux. Sauter hors du cadre, hors tension, haute sécurité, la peinture n'est pas prête de vous abandonner.
Pierre Zufferey est un peintre et cela se voit, il est de ceux qui tentent encore, envers et contre tout, de formuler le trouble et le renoncement, le doute et la stabilité, le risque et l'abandon de soi, la recherche toujours du meilleur à donner, ce questionnement tragique de l'homme et de sa condition, cela dans la solitude de l'atelier, dans l'arrogance et dans l'audace, dans la simplicité absolue des moyens utilisés, dans cet acharnement à formuler les problèmes du monde par le seul moyen d'une toile tendue et des gestes répétés qui l'habitent.
Pierre Zufferey est un peintre et cela se voit, son atelier le prouve, rempli d'assurances et de doutes, les traits rapides et déterminés, la maîtrise de la construction, la plénitude des couleurs, la somptuosité de l'ensemble, la question du tableau toujours renouvelée, l'éternel retour du chef-d'œuvre inconnu.
Nicolas Raboud,
Curateur