CARTE POSTALE
“C’est en restant proche
Qu’on ira loin”
Christophe Flubacher
En février 2014, le World Press Photo of the Year 2013 était attribué au photographe américain John Stanmeyer qui avait immortalisé à Djibouti des migrants africains tentant de trouver du réseau pour appeler leur proche en Somalie. L’image, d’une beauté enchanteresse, montre de nuit des hommes sur la plage d’Obock dans le Golfe d’Aden, levant au ciel leur téléphone portable. Au-dessus d’eux est la lune vers laquelle, dirait-on, ils adressent leurs suppliques. En 2019, le World Press était attribué à John Moore dont la photographie, prise en 2018, avait trait au même sujet : on y voit une fillette hondurienne pleurant parce que sa mère vient d’être arrêtée par un agent de l’United States Border Patrol, à McAllen, Texas. Et depuis bientôt dix ans, le prestigieux concours réceptionne chaque année des reportages traitant de la migration. Après la guerre du Viêt-Nam, la guerre en ex-Yougoslavie ou encore la guerre au Proche-Orient qui focalisaient l’attention de toutes les agences photographiques et du World Press, c’est aujourd’hui la dramatique question des migrants qui occupe les esprits et, ceci, après la parenthèse Covid-19, probablement pour les années à venir.
On a pu vérifier, dans la série Nuées, combien Pierre Zufferey se sentait concerné par le flot de ces hommes, femmes et enfants venus s’échouer sur les plages de Lampedusa[1]. A l’instar de John Stanmeyer, le présent travail imagine, comme il le dit lui-même, « des migrants envoyant à leurs familles restées dans leur pays en guerre une carte postale de leur pays d’accueil pour les rassurer du succès de leur exil[2]. » La démarche se veut positive, Pierre Zufferey imagine des réfugiés arrivés à bon port, plus précisément dans de grandes cités européennes ou encore, symboliquement, à Ushuaia, aux confins du monde, comme s’il voulait non seulement relever l’exploit de ces chemineaux entêtés et infatigables, mais aussi rappeler combien, une fois parvenus au bout de leur dramatique effort, ils allaient devoir affronter un nouveau péril : l’acclimatation à une terre totalement étrangère, à ses autochtones, à leurs mœurs, à leur culture et à leur langue.
Les cartes postales de Pierre Zufferey déclinent tantôt des topographies étrangères, tantôt des hommes emmitouflés dans leurs hardes, qui avancent contre le vent, ou bien des têtes serrées les unes contre les autres pour se parer du froid, ou encore des traces de pas qui sont des empreintes sans retour. Ici ou là, une ligne rouge barre la composition comme la barrière d’une frontière. Oui, nous sommes bien arrivés, semblent dire les cartes postales. Nous sommes bien arrivés à Belgrade, à Kiev, à Oslo, à Sofia ou encore à Reykjavik, mais à quel prix !