LIVRE D'ARTISTE
“Déposer mes élégances
A vos pieds ébahis”
Christophe Flubacher
Pierre Zufferey est un artiste complice, dont l’amitié est durable, la parole sincère, la pudeur touchante et l’écoute généreuse. Tout chez lui comme dans son atelier y est l’expression d’une intimité sans cesse renouvelée et offerte en guise de bienvenue : un parvis de tables et de chaises ombragé où manger au dehors ; une galerie étincelante de lumière aux tables maculées de peinture, au dedans ; un chat dans sa robe de velours, petit sphinx émergeant de ses lunes ; des livres, un fauteuil et du café pour la nuit ; des photographies épinglées aux murs, enfants, amis, amours, passé, présent ; une cuisine ouverte au vent où l’eau des pâtes clabaude dans la casserole ; des gravures déclinant à l’envi la passion des graminées, des gerbes et des roseaux ; des châssis et des tableaux qui se rangent docilement dans leur casiers, sentinelles silencieuses qui exhalent l’âme de ces lieux où la peinture est reine.
En 2019, le peintre s’était lancé un défi pour célébrer ses 50 ans, cumulés à trente années de vie d’artiste. Inviter les amis, les proches et les lointains à découvrir ses dernières réalisations et à le découvrir. Tour de force en somme que de montrer et de se montrer, de montrer ce qui a été fait, de montrer comment il l’a fait. Car Pierre Zufferey ce jour-là avait dévoilé ses carnets intimes, treize In tim ity, comme il les nomme, et sa soldatesque de dessins, d’esquisses et de fulgurances aquarellées, de maximes destinées à conjurer les doutes et à signifier les victoires, de collages où cohabitent, serrés les uns contre les autres, anonymes et people, coupures de presse et photographies habilement déchirées. Véritables mines d’or, ces journaux intimes sont les voyages intérieurs du peintre au pays de meilleure connaissance, ils sont la gangue enfermant les dessous chics de l’artiste.
Regroupés en une sorte de best of, et parce que la Gestalt nous a appris que notre œil toujours cherchait l’unité dans la diversité et la cohérence dans l’arbitraire, les douze pages assemblées ici en un patchwork de collages puisés dans chaque carnet s’agrègent les uns aux autres comme par miracle. Les aphorismes jetés de-ci de-là trouvent un référent iconique inattendu et convaincant. A cet égard, il devient urgent de rappeler que l’écriture entre dans la pratique du peintre Zufferey, sous forme de prose poétique, de vers libres ou hexasyllabes – “Au fond de mes tiroirs, je cherche notre histoire” – qui jouent de l’assonance et de l’allitération – “Mes mains aux avirons rameront pour te ramener en vie à la rive” –, ou encore sous forme de haïkus, calibre Vieux Japon modifié 2020, à l’incomparable beauté :
“Demain écarter les allées
Plier les cyprès
Dégager le sentier”