MIROIR MARAIS
“La nature cherche à nous séduire
Sans rien dire”
Christophe Flubacher
Le Khamsin est une tempête qui soulève le sable d’Égypte et l’oriente en direction de la Palestine. Il brûle la gorge, perturbe la vue, obstrue les voies respiratoires, confond le ciel et la terre en les uniformisant de sa couleur tantôt terre de Sienne, tantôt jaune-orangé. S’agissant de sa restitution sur les toiles du diptyque de Pierre Zufferey, il faudrait, pour en saisir toute l’envergure, commencer par y passer les doigts. L’on découvrirait en effet combien leur surface est poreuse et grenue. Car Pierre Zufferey ne s’est pas contenté de restituer visuellement son Vent de sable, il l’a également rendu perceptible tactilement. La main ressent la myriade de grains de sable qui compose ce vent terrible, un vent que la tradition attribue à la fureur du dieu Seth, apôtre de la confusion, du désordre et de la perturbation. Serrés et densément compressés, les grains de sable forment un manteau de colère. En eux tout se brouille, une poussière invasive érode la toile et laisse après elle une humeur jaunâtre et atrabilaire qui la suit comme queue de comète. Mais, paradoxalement, lorsque Pierre Zufferey nous fait découvrir son tableau, voici qu’il focalise notre attention sur la bordure latérale des deux toiles du diptyque : « Je suis particulièrement content de çà, il y a là un clin d’œil en forme d’hommage à Gustav Klimt ! » Et c’est vrai, tellement vrai que le célèbre Portrait d’Adèle Bloch-Bauer I[1] jaillit instantanément devant nous, riche de ses teintes dorées et de sa mosaïque inspirée de la Basilique Saint-Vital de Ravenne. Comme si la peinture miraculeuse s’était ingéniée, par effet de transsubstantiation, à convertir la perfide poussière en poussière d’or.
Sans pour autant renoncer au sable, Pierre Zufferey transite de l’Égypte en Valais, restituant en trois chapitres les marais du bois de Finges, là où le Rhône encore sauvage déploie ses méandres de pré-monde et serpente entre les îlots de sable, de gravier et de limon qu’il a charriés depuis le glacier berceau. L’ensemble consiste en trois peintures monochromes couvrant la surface de la toile, mais de telle manière que de la vie puisse sourdre de l’intérieur. C’est d’abord le vent qui souffle dans la roseraie et chiffonne délicatement la surface du tableau. La dominante verte s’enrichit alors de jaune paille ; c’est ensuite le givre d’un matin frileux qui recouvre le sol d’un manteau de soie si fin que les aspérités du terrain se devinent. La dominante blanche se nourrit alors de bleu barbeau ; c’est enfin le soir qui se tient au-dessus des marais, étend le rideau noir de la nuit sur les eaux glauques du bourbier dont les rares reflets qu’il exhale encore conservent un peu de la lumière du jour, avant que tout ne s’éteigne complètement. Le noir se pare alors de reflets d’or et d’argent.