HORIZONS LOINTAINS

“Prendre l’infini

Comme une nouvelle destination”

Christophe Flubacher

Les Horizons lointains sont des figurations abstraites où la configuration des plages sombres et des plages claires délimitent prudemment des hauts et des bas, des terres morcelées et des ciels hésitants, des socles telluriques encore charbonneux qu’éclairent des surfaces vaporeuses, rougeoyantes ou lactées, où des îlots de nature trempent au milieu de marais étales, entre pesanteur et futilité, ancrage et évasion. L’indistinction est encore prégnante, Dieu y est ici paresseux qui procède à la gestation lente de l’univers, comme s’il s’émerveillait devant l’indétermination des formes, comme s’il cherchait à retarder l’instant fatal où la lumière allait être définitivement séparée des ténèbres, l’eau de la terre, et le poisson du mammifère. Pierre Zufferey nous ramène aux premières mesures de la “Création[1]” selon Joseph Haydn, quand les notes de musique pouvaient encore s’égarer et se perdre dans le chaos merveilleux et infini des possibles, avant que l’ordre, la distinction et l’identification ne mettent un holà définitif à la labilité des choses, avant qu’un nom ne vienne les circonscrire pour toujours dans une forme rigide, et avant que ne commence le destin épouvantable et prodigieux des Hommes.

Deux tableaux de la série attirent plus particulièrement le regard. Leur facture, pourtant résolument abstraite, se lit si bien que Pierre Zufferey leur attribue des noms référencés dans le patrimoine culturel temporel et climatique : « De l’aube à l’aube” pour l’un, « Avant l’embellie” pour l’autre. On y devine instantanément le rougeoiement du ciel entravé de lourds nuages gorgés de pluie pour le premier, une banquise pour le second, qui vadrouille sur un océan couleur de muraille et sous un ciel boréal profondément chahuté. L’horizon bas du premier tableau offre la perspective d’un ciel immense, à l’aube d’un matin du monde détrempé. La masse gigantesque de l’iceberg du second tableau frigorifie le regard, de même que les eaux délavées dans lesquelles il erre, et le ciel maussade qui le domine. On songe alors à l’explorateur polaire, Paul-Émile Victor, qui n’aimait rien tant que la chaleur de la Polynésie française et à l’écrivain Jean Echenoz qui décrit dans Je m’en vais un Grand Nord désenchanté, où l’on se bat contre les moustiques, où les maisons des Inuits sont faites d’assemblages de tôles ondulées, où les autochtones tuent l’ennui en regardant des films porno, où les motoneiges remplacent des chiens désagréables et patibulaires. Quel émoi devant ces deux chefs d’œuvre ! Et quel bonheur que cette série-là qui vient exacerber l’imaginaire, le pomper et le sucer jusqu’à la lie !



[1] C’est entre 1796 et 1798 que Joseph Haydn (1732-1809) compose un oratorio intitulé “Die Schöpfung” qui raconte la création de l’univers telle que la décrit la Genèse.