AMUSE-BOUCHE

“Faire l’amour

N’est pas au menu du jour”

Christophe Flubacher

Lorsqu’on se rend à l’atelier sierrois de Pierre Zufferey, c’est, en guise de hors-d’œuvre, l’Amuse-bouche que l’on aperçoit en premier, sous le porche d’entrée. Il s’agit d’une suite de photographies à la netteté incroyable, qui allie aux dessous chics évoqués précédemment, les arilles rouge vif d’une grenade éclatée. L’arille, ou enveloppe charnue, abrite une graine savoureuse et translucide qui, selon la luminosité ambiante, varie du rouge foncé au rose clair. Juteuse à souhait, la graine éclate à la moindre pression. Et quand on la croque, elle craque sous la dent, libérant sa flaveur délicieuse.

La grenade est un fruit d’automne et la mythologie grecque nous dit pourquoi. Alors que Perséphone, enlevée par Hadès, devait être, sur ordre de Zeus, rendue à sa mère Déméter, il advint qu’elle goûta aux Enfers à la moitié d’une grenade, ce qui la condamnait à séjourner éternellement au royaume des morts. Mais puisqu’elle n’en avait mangé que la moitié, Zeus lui permit de rejoindre sa mère au printemps et durant l’été, cependant qu’elle retrouvait son époux à l’automne et durant l’hiver. La grenade fut ainsi appelée le fruit des enfers.

Associée aux dessous chics, la grenade se connote sexuellement. Qu’il suffise de l’ouvrir pour s’en rendre compte. Car une fois ses arilles épanouies elle affame le regard de sa couleur et de sa myriades de petits boutons triangulaires rose-rouge. Les anciennes civilisations ne s’y trompaient pas qui l’associaient à la vie, à la fertilité et même, chez les Mésopotamiens, aux relations sexuelles et à la procréation. La grenade fut alors appelée le fruit des amours.

Or c’est naturellement à cette grenade là que se rattache l’Amuse-bouche de Pierre Zufferey, bien qu’il soit admis, qu’à l’image des infortunes de Perséphone, l’amour puisse conduire aux enfers. C’est naturellement à l’amour qu’il se rattache, disais-je, et plus particulièrement lorsque l’artiste troque ses pinceaux contre un tablier de cuisine et apprête divinement les graines de la grenade avec un cœur de thon rouge savamment associé à de l’huile d’olive vierge et à son cortège de ciboulette, sel, harissa, jus de citron et coriandre fraîche. Toutefois, cet amuse-bouche-là ne figure pas sur les cimaises, mais dans le cœur de Pierre Zufferey. Car il symbolise depuis deux ans l’amour retrouvé avec Sandra sa compagne et il est le premier repas que tous deux dégustèrent en tête-à-tête.