EMBELLIE

“Même si dehors il pleut

En moi il fait bleu”

Christophe Flubacher

Présentée à l’occasion de l’exposition Tandem durant l’été 2020 à St-Tropez, la série suivante se rassemble autour d’un label commun, l’embellie. Or, de même qu’il n’y a pas de soleil sans ombre, il n’y a pas d’embellie sans tumulte. Voyez à cet effet comment sur chacune des toiles sourd une timide embellie, au mitan des bourrasques, au plus fort de la crise. Trois fois rien, une lueur opaline crevant le manteau d’un ciel affaissé qui s’adosse à la terre embrumée, la terre meurtrie que percent, rageurs, les multiples couteaux de la pluie. Une embellie, trois fois rien, par où toutefois percent ici ou là fantômes d’arbres faméliques, embryons de maisons, ombres de campagne ravagée, mer lointaine. Trois fois rien, juste une bandelette blanche à l’horizon, le blanc réservé de la toile du tableau. Et la bande a fait clair, oh ! trois fois rien, je le répète, mais elle a fait clair, comme l’aube, à la nuit défaite, rhabille de sa dentelle blême la crête des montagnes environnantes. Un frémissement sériel et réitéré, une embellie qui de toile en toile convole inexorablement.

Ce sont des tableaux de même format, disposés verticalement, dans lesquels se devine un petit judas de lumière. Il faut s’en approcher, ouvrir l’œil et l’appliquer sur l’huis, y admirer comment l’informe s’agrège pour nous signifier quelque chose, comment les coulures involontaires, transitant du chaos vers l’ordre, simulent de vieilles souches qui peuvent, par effet de labilité chère au peintre, se changer en mâts de misaine, croix de Golgotha, concrétion calcaire ou alors ne rien simuler du tout, conserver leur état initial, coulures, simplement coulures, méandres effilés comme des doigts, méandres de petits ruisseaux égarés. Pierre Zufferey ne tranche pas, ne dicte pas, il nous laisse libre de nous envaser dans nos supputations rêveuses, il effleure la toile d’une main et dit simplement : « Là, il y a quelque chose d’intéressant ». La main décrit une volute, puis va son chemin, transitant d’un tableau l’autre. Pierre Zufferey se reconnaît et s’étonne, sa peinture lui réserve parfois des surprises. On le devine cependant acquis à cette noble cause qui tend vers le mieux et que déclinent, solidaires, ses tableaux frères d’armes.

Ce sont des tableaux de même format, disposés verticalement que domine une plage invasive et compacte, aux tonalités rouge trompette, rouille de cargo, jaune olivâtre, gris maussade, fumée de cheminée, noir de monde, roux barbe, bleu de travail, voie lactée et blanc nuptial. Une série de tableaux pour tout dire, à quoi s’ajoute, immense et grandiose, un tableau qui les contient tous, un triptyque venu pour les résumer tous et leur conférer le silence majuscule d’une cathédrale dont ils assurent la procession des corps glorieux.