MURMURATIONS

“Parfois un rien m’enchante”

Christophe Flubacher

L’empreinte laissée sur le poussoir confirme on ne peut mieux l’expérience dite de la “dés-illusion” perceptive décrite par le philosophe Maurice Merleau-Ponty : « Je croyais voir sur le sable une pièce de bois polie par la mer, et c’était un rocher argileux^[1]. » Parce qu’ils sont toujours menacés de reconversion, les objets oscillent entre l’être et le paraître. Aussi les “Murmurations” de Pierre Zufferey vérifient-elles la labilité des choses et leur indécision congénitale devant toute tentative réductrice d’identification objective. Car ce que chaque perception, fût-elle imaginaire, loufoque ou fausse vérifie, c’est, écrit encore Merleau-Ponty, « l’appartenance de chaque expérience au même monde, leur égal pouvoir de le manifester, à titre de possibilités du même monde. »

Les empreintes sur le poussoir nous ramènent à un stade pré-objectif, pour ainsi dire, dans lequel les choses n’ont pas encore pris corps. S’agrégeant devant nous, elles ouvrent le champ infini des possibles. Et de même que « l’algue ou le caillou qu’on rapporte garde quelque chose de la mer où il a été pris », de même tout ce que nous aimons, pensons ou croyons voir dans ces empreintes sont les manifestations d’un même monde, d’un même talent, du même artiste. Pierre Zufferey est le peintre des infinis possibles qui nous introduit à des perspectives étrangères, au lieu de nous confirmer dans les nôtres. « Nous ne verrions rien, conclut Merleau-Ponty, si nous n’avions, avec nos yeux, les moyens de surprendre, d’interroger et de mettre en forme des configurations d’espace et de forme en nombre illimité. »