CALLAS BEAUTY
“Quand je suis chagrin
Des roses éclosent dans mon jardin”
Christophe Flubacher
L’artiste américaine Georgia O’Keeffe (1887-1986) est célèbre pour ses peintures florales et particulièrement pour ses représentations en très gros plan de l’iris noir et de la calla jaune ou blanche. Conduisant de manière hypnotique le regard du spectateur sur le calice, la bractée et l’inflorescence du spadice, l’artiste allie, à une représentation hyperréaliste et botanique, une métaphore extrêmement convaincante du sexe féminin, au point que la journaliste Jenna Barlage donnera à son article paru dans le Michigan Daily un titre on ne peut plus évocateur : « O’Keeffe m’a appris à aimer mon vagin[1] ». Elle dira plus loin que Georgia aura été non seulement la première femme à avoir jamais peint un sexe féminin, mais aussi la première à l’avoir pareillement magnifié, par la grâce d’une fleur.
Le fait est que la calla, appelée aussi Zantedeschia ou arum d’Éthiopie, se prête volontiers à ce genre d’analogie. Fleur des mariages par excellence, les Romains l’associaient déjà au plaisir de la fête, parce que sa longue tige et son calice évoquaient les verres en usage lors des banquets. Sigmund Freud, quant à lui, interprétait sa forme chaloupée comme un appel au désir et à l’appétence sexuelle.
Sans rien lui enlever de sa nature festive ni de sa sensualité féminine, Pierre Zufferey semble tout d’abord captivé par l’élégante spirale que décrit la calla quand on l’observe depuis en haut. La corolle vient en effet s’enrouler gracieusement autour du spadice et sa courbe est si parfaite qu’on la croirait déduite du nombre d’or. Un halo savamment élaboré par l’artiste nimbe de mystère la pellicule photographique, ouvrant à l’imaginaire de possibles évasions. De fait, la calla devient au pluriel la Callas et Pierre Zufferey, par le titre donné à la présente série, nous invite à considérer la diva grecque et, par effet de synesthésie, à combiner le parfum d’une fleur avec le timbre d’une voix. L’antanaclase n’est cependant pas fortuite et les prénoms de fleurs – Rose, Lys, Violette, Jacinthe, Capucine et autres Garance – attestent que, de Pierre de Ronsard à Georgia O’Keeffe, la femme et la fleur partagent un même jardin.