APRES LE SILENCE, LE RECUEILLEMENT

L'espace extérieur surprend. C'est sobre et pourtant théâtral. La montagne mauve de l'Illgraben sert d'arrière-plan. De jeunes arbres, nés sur les berges du fleuve voisin, rapatriés, font leur petite musique de soie. Le chat passe comme une ondulation noire et s'en va. Une table et une chaise, posées dans le sable, attendent le fantôme de Federico Fellini. On est au seuil du désert.

Pierre Zufferey a l'allure souple d'un félin et le regard à l'italienne. Franchement séducteur. Entre ! Cela sent la térébenthine et le printemps. Un loft où la lumière s'éclate. Sur la table peinturlurée, les pigments murmurent leurs attirances, le rouge vermillon avec le violine, l'indigo intense avec le bleu azur, le garance irait jusqu'à farder les terres brûlées, le jaune, safrané, rêve de se diaprer d'albâtre et de s'inonder à la vénitienne, de vert, véronèse.

L'esprit de Soulages et celui de René Char sont présents. La peinture de Pierre Zufferey amène aux portes du recueillement. Une dimension nouvelle, envahie de sobriété, bien éloignée du tapage des passions. Fertilisée par des forces intérieures, elle a la solennité qui préside aux grandes cérémonies, portée par une volonté constante d'élévation.

Tant de sagesse et pourtant ce rire, la tête à l'envers. D'où vient cette jubilation ? Il faut voir. A grandes enjambées avec des gestes généreux, Pierre empoigne ses grandes toiles comme on empoigne un être absent depuis longtemps. Il me les présente en expliquant encore que pour être libre, il ne faut pas enchaîner la liberté de l'autre. Pierre fait encore allusion à l'empreinte subtile du bateau qui s'éloigne.

Ce que je contemple... Oui, on peut oser ce mot. Ce que je contemple est d'une intense beauté. Le peintre a laissé les coquetteries et tout l'attirail des séductions, il a posé le masque de l'abandon sur fond de sous-titre, il ose le partage de l'âme et s'est mis au service de la peinture avec une humilité que ne peuvent afficher que les artistes de talent. C'est très sérieux, presque impudique.

Pierre Zufferey joue la transparence, étire la matière, la lisse, la laisse chancelante, la reprend, la déclinaison se passe en profondeur. Il s'est laissé prendre par des fauves vibrants, de terres plus sombres, des verts de bout du monde, des gris perle qui ont cessé d'être troubles et qui sont à l'aise avec toutes les craintes, dorénavant apprivoisées. Et puis il y a ces petits formats, des verticalités entrevues, des espaces qui n'ont de gracieux que leur apparence. On pense à des haïkus, à l'alternance de la grâce et du réel.

On peut parler d'une étape, d'une avancée qui tient à la maîtrise de soi autant qu'à celle de la matière. L'imminence du bonheur nous frôle.

Josyane Chevalley
Ecrivain